Échapper à la mort, en faire une œuvre d’art

Catherine Genest
Photo: Jessica Lewis
Publié le :
Chronique

Échapper à la mort, en faire une œuvre d’art

Après avoir tutoyé la mort, la poète Geneviève Rioux et la dramaturge Audrey Talbot ont trouvé refuge dans l’écriture. Et c’est comme ça qu’elles se sont mises au monde comme autrices.

Considéré dans ce texte

Survivaces de Geneviève Rioux. Corps titan (titre de survie) de Audrey Talbot. Les sacs Ziploc. Les féminicides. Les accidents de vélo à Montréal. Le décès de la journaliste Gabrielle Morin-Lefebvre.

NDLR: Ce texte comporte des détails explicites et des scènes de violence. 


Survivre à une fin prématurée, se soigner et revenir à la source même de son mal pour créer une œuvre cathartique. Geneviève Rioux et Audrey Talbot ne se connaissent pas, mais leurs livres parus en mai dernier, à quelques jours d’intervalle, se ressemblent énormément parce que leurs démarches sont semblables. Ce sont deux autrices qui publient pour aller au-delà des faits divers auxquels elles ont donné corps. Elles publient pour se réappartenir.

Par la bande, Geneviève et Audrey prêtent aussi leurs voix aux malchanceux·ses dont les récits noircissent les pages des quotidiens, les protagonistes de ces drames racontés dans des brèves froides et sans saveur—neutralité journalistique oblige. Survivaces, le recueil de Geneviève Rioux édité chez Mémoire d’encrier, commence justement avec un court article de La Tribune concernant l’autrice, un texte presque blessant parce qu’il est conjugué au conditionnel.


«Plus d’une année après un évènement qui a toutes les apparences d’une tentative de meurtre, les autorités policières recherchent un adepte des arts martiaux qui en serait vraisemblablement l’auteur. 

L’évènement se serait déroulé dans la nuit du 7 au 8 avril 2018 dans le secteur de la rue Lincoln à Sherbrooke.1«Tentative de meurtre: le SPS recherche un adepte des arts martiaux», La Tribune, 25 avril 2019»


Geneviève Rioux a survécu à une tentative de féminicide et Audrey Talbot s’est fait frapper par un poids lourd alors qu’elle circulait en vélo. Leurs témoignages, je les ai lus coup sur coup, et pile au moment où une amie à moi, la journaliste Gabrielle Morin-Lefebvre, toute jeune femme pourtant si vivante, nous quittait sans crier gare, victime d’un bête accident. 

Hasard étrange, troublante coïncidence. Enchainer les lectures de Corps titan (titre de survie) et de Survivaces tout en apprivoisant le deuil de mon ancienne collègue m’a chavirée. J’ai fini par comprendre, en mai dernier, que la mort rôde au détour des instants les plus banals de nos vies, ces gestes répétés cent fois. La faucheuse est étrangère aux concepts de chance et de justice. Elle s’emballe sans motif valable.


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