Ville fantôme
Qu’est-ce qui nous pousse à abandonner sans avertissement nos conversations virtuelles—et les êtres bien réels avec qui nous les tenions?
La langue doit-elle régler toutes les injustices?
La diversité identitaire et la neutralité de genre. L’écriture inclusive. Les graphies et les grammaires autochtones. Le vivre-ensemble linguistique. La langue comme organisme vivant.
En mars 2024, le gouvernement du Québec a annoncé qu’il allait désormais être possible de choisir le genre «X» sur sa carte d’assurance maladie et sur son permis de conduire.
Je ne discuterai pas ici de droit ou de psychologie. Je tiens pour acquis que chaque personne peut déterminer à quel genre elle s’identifie, ce qui implique la possibilité que ce ne soit ni au genre masculin ni au genre féminin. Je porterai plutôt mon attention sur le rôle de la langue pour reconnaitre celles et ceux qui s’en sentent actuellement exclus. Malgré ma formation de linguiste, je ne me satisferai pas d’observer ni de décrire. Enseignant la communication écrite, je suis surtout préoccupée de la faisabilité de ce que l’on prône. Bien sûr, ajouter un «X» sur un formulaire peut sembler un geste simple et sans beaucoup de conséquences, mais quels mots utiliser pour parler des gens qui s’identifient ainsi?
Rappelons qu’à l’automne 2023, une personne se disant non binaire a fait une grève de la faim pour justement exiger l’ajout de l’option «X», en plus de «M» et de «F», sur la carte d’assurance maladie. Les journalistes avaient-ils alors les ressources nécessaires pour parler d’elle? Visiblement pas. Au mieux, les textes des médias ont évité les accords de genre. Dans l’un d’eux, on a même préféré répéter constamment le nom au long de la personne (deux prénoms et un patronyme), plutôt que de choisir un pronom; et quand un pronom a finalement été requis, c’est le doublon il/elle qui a été retenu («tant qu’il/elle n’obtiendra pas satisfaction»). La ministre Biron, citée dans un article, a pour sa part utilisé uniquement le masculin pour parler de la personne concernée. Enfin, trois journalistes ont utilisé le pronom iel, que la personne non binaire avait identifié comme étant le sien; le premier l’a accordé au masculin, le deuxième a utilisé la forme tronquée prêt-e et le troisième a évité les accords en genre. Publié sur le site de Radio-Canada, le dernier article comportait un encadré expliquant l’utilisation du pronom iel.
Ce simple exemple illustre bien que la langue française n’est actuellement pas outillée pour parler adéquatement d’une personne non binaire ou de tout autre individu qui demanderait qu’on parle de lui en utilisant un genre neutre.
Cette volonté d’utiliser la langue pour réparer les injustices ne se limite pas qu’aux identités de genre. Par exemple, les Nations autochtones sur le territoire québécois demandent aujourd’hui qu’on les désigne selon les noms qu’elles se donnent elles-mêmes, parfois avec les graphies et les grammaires propres à chacune.
Est-ce à la langue de s’adapter pour éviter les discriminations et assurer la reconnaissance de tous les groupes ou individus minoritaires ou minorés? Et si oui, comment peut-elle réalistement le faire?
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