Laval dans leurs mots
De Michel Maxime Moutier à Louise Henry en passant par Denis Monette, des écrivain·e·s tracent les contours de cette ville polymorphe.
Le Saguenay redevenait un arrière-pays inatteignable, un royaume isolé, uniquement visité par les brise-glaces de la garde-côtière canadienne qui ouvraient, dans la banquise épaisse du fjord, des sillons étroits, aussitôt refermés, pour les cargos de bauxite et d’alumine. C’était un hiver nostalgique, un hiver comme on en rêvait depuis qu’on entendait parler de réchauffement climatique: un hiver de fin du monde.
Mathieu Villeneuve, Borealium tremens (2017)
D’où je les observe le jour, c’est le calme plat
De rares marcheurs, un VTT pressé, une joggeuse
Perdue
Il est rare d’en surprendre un à la lumière du jour
On n’est pas en pleine forêt ici
Le castor l’a appris à ses dépens
Pierre Demers, Le castor invisible (2016)
Le four s’ouvre et déroule son imposant tapis d’odeurs, Sylvie verse de l’eau dans le trou d’un gros pâté, la tourtière est un désordre de viandes, porc, bœuf, orignal si on est chanceuses, avec des cubes de patates, sel, poivre, une pâte épaisse renferme la mixture qui cuit pendant des heures, la saveur jaillit de l’absence absolue d’épices, d’aromates, de l’égalité radicale des ingrédients. Au terme de la cuisson, les morceaux de bœuf fondants sont impossibles à distinguer de l’orignal ou du porc. La tourtière forme une même matière viandeuse, amidonnée et grasse, qu’on hydrate d’un jet de ketchup. «Madame Lamontagne, allez donc vous assoir. On s’en occupe, du manger…»
Kev Lambert, Les sentiers de neige (2024)
Je me suis tentée sur le bord du fjord, à quelque part de secret, où y a pas de chemin. Je tombe directement sur un phoque qui danse dans l’eau à côté de moi. Je lui crie salut bebé, il fait un méchant saut et il s’en va.
Marie-Andrée Gill, Chauffer le dehors (2019)
sans ça
le soleil d’automne
je serais morte contemplative
dans le trou de glace
sans toi
Mylène Bouchard, Les étoiles se sont rapprochées (2024)
trois bars entourent la piste
lasers et douchebags
tramp stamps et cravates
le grand marnier est en spécial pour
encore dix minutes
le vent s’arrête sur les murs de la bâtisse
et le monde extérieur se perd
dans l’électropop des filles de l’aluminerie
dont c’est l’anniversaire
Mathieu Arsenault, «Berlioz», Le guide des bars et pubs de Saguenay (2016)
flashbacks de briques roses
et de piscine profonde
je m’y revois exubérante
courte et potelée sous mon chapeau
je m’y revois gadelle et fjord
immergée, au soleil, immergée
à suçoter l’hostie comme neige chaude
Laurance Ouellet Tremblay, La vie virée vraie (2022)
Envoye sors tes jewels bling bling
On va racer su’a Racine
Faire nos frais chiés ‘ec notre van de loup
Québec Redneck Bluegrass Project, «Van de loup» (2016)
Stéfanie Tremblay est artiste visuelle et autrice. Elle travaille à La Peuplade depuis 2017.
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