Sur la possibilité de vivre dans les ruines du capitalisme
L’effondrement arrive, a même possiblement déjà commencé. Plutôt que de nier le désastre, il est temps de préparer la suite en y consacrant tout ce qui nous reste de capacité à rêver.
Un samedi matin gris et silencieux, un restant de mal de tête et des envies de printemps et de lumière, après un hiver qui, il faut bien le dire, aura été plutôt décourageant. Politiquement, économiquement, culturellement, médiatiquement, météorologiquement, même: on a connu des jours meilleurs.
Les journaux de la fin de semaine éparpillés sur la table de la cuisine en dizaines de cahiers colorés, et autant de raisons de désespérer de plein d’affaires qu’il ne vaut même pas la peine d’énumérer.
Un peu par dépit et beaucoup à cause de la force d’attraction propre à ce qui scintille et se renouvèle sans cesse, on se rabat sur l’ordinateur, à la recherche de compagnie et de compréhension, de quelque chose ou de quelqu'un qui nous rappellera qu’on n’est pas seul, énoncera tout haut les choses qu’on n’ose plus dire, même à soi-même. Mais on ne trouve que beaucoup d’Instagram et de franglais, des liens vers des choses qu’on ne lira pas, et la photo d’une femme qui allaite en même temps un bébé et une chèvre. On like en masse et on va se faire un autre café.
Il avait pourtant bien commencé, cet hiver, non? Dans la fraicheur stimulante de la fin de l’automne, avec les tentes fermées de leurs multiples fermetures éclair, les grandes toiles retenues par un enchevêtrement compliqué de sangles et de cordes, le mouvement des indignés n’avait justement pas l’air d’un mouvement, au sens de quelque chose qui bouge et va quelque part—il ressemblait plutôt à quelque chose qui s’était déjà enraciné, avait planté ses piquets dans le sol gelé de la conscience populaire, bien décidé à ne pas partir. Et même si on savait qu’inévitablement la Ville ou le froid ou la police allait forcer les occupants à démanteler leurs abris, on était plusieurs à espérer que quelque chose resterait de cette indignation et pourrait être employé à bon escient dans les travaux qui nous attendent. C’était une histoire d’espoir retrouvé.
«Nous nous racontons des histoires afin de vivre», écrivait Joan Didion («Adieu à tout ça») au début de l’un de ses essais les plus célèbres. C’était vrai il y a 40 ans et bien sûr ce l’est toujours aujourd'hui, comme ce l’était à l’âge de bronze ou au sommet de la hype pour la chanson de geste. Nous avons besoin d’histoires pour comprendre le monde, pour oser croire qu’il y a un sens à tout ceci, pour être capables de sortir du lit le matin. Car voilà bien ce que sont les histoires, au fond: le résultat de notre désir profond de donner une signification aux choses et de trouver un motif, un élément unificateur dans la courtepointe de nos vies. Sans histoires, il n’y a ni début ni milieu ni fin, que des évènements aléatoires, des points placés au hasard sur une carte sans dimension fixe. Sans histoires, il n’y a pas vraiment de raison de rester jusqu’au générique.
C'est peut-être pour cette raison que les médias sociaux, malgré leurs nombreux attraits et bénéfices, nous laissent au final avec cette impression de vide et d’inachèvement, ce malaise diffus. Nous avons encore besoin que des gens doués transforment en histoires ce tsunami d’informations et d’émotions qui nous submerge chaque fois qu’on accède à Facebook et Twitter, qu’on ouvre la télé ou juste la fenêtre. Nous avons encore besoin que des auteurs nous aident à trouver un sens—une raison d’être, même—à ces milliards de microrécits et de narrations fracturées. Qu’ils mettent un point à la fin de leur histoire, et que cela suffise, pour un moment.
Mais, par ailleurs, que se passe-t-il quand les histoires qu’on nous raconte et que nous nous racontons sont en fait des pseudohistoires, vidées de sens et d’authenticité au profit des idéologies, des apparences, du spin? Le spin de nos dirigeants politiques et économiques et celui, tout aussi insidieux, que nous donnons à nos propres histoires, celles que nous tweetons et bloguons et textons et appliquons à nos albums photo, celles autour desquelles nous construisons notre vie sans réaliser qu’elles viennent tout droit de la télé ou de la musique pop, du bureau du premier ministre ou de ceux de National ou de Sid Lee? Qu’arrive-t-il quand les fantasmes prennent le dessus sur les faits, et que les corporations, les démagogues et les charlatans sont ceux qui nous dictent nos histoires? Le despotisme, par exemple, peut-il vraiment rester une impossibilité quand un gouvernement et la machine médiaticofinancière qui le supporte peuvent nous faire croire ce qu’ils veulent? L’Histoire nous enseigne que non, et l’Histoire ne se trompe pas souvent.
On nous avait annoncé un 21e siècle où fleuriraient un milliard de voix distinctes, une ère de «longue traine» et de diversité sans précédent. Il n’est pas trop tard pour l’arrivée de cette Terre promise informationnelle, mais jusqu’à maintenant, nous avons beaucoup eu droit à la maximisation d’un nombre réduit d’histoires sur le plus grand nombre de plateformes possible, au règne de mèmes aussi globaux que brefs, et à la même domination d’une poignée de bestsellers, qu’ils soient des films, des livres, des équipes sportives ou des politiciens.
Si Nouveau Projet existe, c'est en bonne partie parce qu’on a ressenti le besoin de raconter des histoires différentes. Des histoires sur qui nous sommes et sur le monde qui nous entoure, mais aussi des histoires sur ce que nous pouvons aspirer à devenir, sur le monde que nous souhaitons. Des histoires vraies en forme de reportages et d’essais, et aussi des histoires inventées, mais clairement identifiées comme telles, contrairement aux communiqués du Gouvernement de Stephen Harper™ et aux épisodes d’Occupation double. Des histoires qui—croisons les doigts—ne seront pas déterminées par des considérations commerciales, des «stratégies convergentes», le désir d’accumuler les clics et les «paires d’yeux». Des histoires pour chercher un sens à tout ceci, pour arriver à se sentir moins seuls. Des histoires, aussi, qui décrivent la réalité québécoise, et en français; nous pourrions très bien, après tout, consacrer tout notre temps à de passionnantes lectures venues d’ailleurs, des États-Unis ou d’Europe, d’Asie ou de Toronto, et c'est effectivement ce que nous avons beaucoup fait depuis 10 ans, 15 ans, 20 ans—mais même en 2012, à une époque hypermondialisée où l’on porte les mêmes vêtements, écoute la même musique et semble vivre et penser les mêmes choses à Londres et Buenos Aires et Osaka et Montréal, il y a une perte, un vide culturel et émotif, quand les histoires que nous lisons viennent surtout d’ailleurs, parlent surtout d’ailleurs.
Nouveau Projet a été fondé sur l’idée que les choses peuvent et doivent changer—dans notre société, mais aussi en nous-mêmes. Une idée similaire semble éclore dans la tête de bien des gens, par les temps qui courent, et on est fiers de se joindre à cette foule hétéroclite de gens et d’organisations qui essaient tant bien que mal de bâtir le Québec nouveau.
À ce moment précis de l’Histoire, alors que collectivement nous semblons hésiter entre le radicalisme, l’inaction totale et le refuge dans une poésie aussi cute qu’inoffensive, Nouveau Projet prend parti pour la nécessité de choisir l'engagement, en soi et en sa société. De se mettre au service de quelque chose de plus grand que soi. De redéfinir ce qui est nécessaire, ce qui est important. Et d’ainsi, peut-être, chacun à notre manière, inventer une nouvelle conception de ce qui est possible.
«Cette époque est la nôtre et nous ne pouvons vivre en nous haïssant»: la phrase est d’Albert Camus, et c'est notre collaborateur Patrice Létourneau qui la cite dans un texte que vous pourrez lire plus loin (L’art du décloisonnement).
Camus avait raison, bien sûr. Ne pas aimer son époque, c'est se condamner à une perpétuelle frustration et à une insidieuse haine de soi, pris qu’on est au milieu de celle-ci, enfant de celle-ci, tentant à la fois de l’accepter, de l’ignorer et de changer ce qu’on peut. Aimer son époque, voilà qui doit grandement contribuer à de meilleures nuits de sommeil.
Notre problème, évidemment, c'est que cette époque qui est la nôtre n’est pas la plus facile à aimer. Certains diront même qu’elle n’a pas grand-chose pour elle, entre ses catastrophes écologiques et son apathie collective, son hypercapitalisme et sa sous-politicisation, la démographie galopante de ses «économies émergentes» et la non moins galopante démagogie de ses «chroniqueurs
vedettes». C'est une époque de cartes de crédit toppées et d’auto-promotion sans fin et de spleen médicamenté et de faits divers sans conséquence qui ouvrent le téléjournal et d’enfants qui ne jouent plus dehors et de maisons trop grandes construites trop loin et de citoyens qui ne voient pas l’ironie dans le fait de laisser sur l’internet des commentaires du genre «Osti kté caves toé mon osti». Une époque à l’atmosphère «lourde de panique et de médias» (Gary Shteyngart, Super Sad True Love Story), où la notion même d’un projet collectif semble disparue pour de bon, remplacée par l’atomisation des aspirations et des voix médiatiques. Une époque où, pour reprendre la formule de Yeats, les meilleurs sont dépourvus de toute conviction, alors que les pires sont habités par une intensité passionnée—le «face-à-face terrible et dérisoire du fanatique et du zombie», pour citer Alain Finkielkraut.
Dit comme ça, on peut comprendre ceux et celles qui ont choisi d’abandonner la recherche du bien commun pour se consacrer à leur petit bonheur personnel, leur vie familiale, leur voyage annuel sous les tropiques, là où le vent est chaud et les drinks abondants. Quand les problèmes collectifs semblent si grands, si insolubles et de toute façon si hors de notre contrôle, il est tentant de se mettre la tête dans le sable de Puerto Plata ou dans la terre noire de la couronne nord.
«Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde», a dit Gandhi (ou Oprah, on les confond tout le temps), et c'est une notion qui sera centrale à Nouveau Projet.
C'est une idée un peu démodée, que celle du «travail sur soi»: on l’associe soit aux leurres de la mouvance nouvel-âge, soit aux vestiges d’une époque révolue, celle de la tradition grécoromaine et des prescriptions morales, du cours classique et des livres populaires des années 1920-50. Qui, aujourd'hui, peut prononcer le mot «spiritualité» sans se sentir un tout petit peu ridicule? À part Benoit XVI et Josélito Michaud, on veut dire?
Mais il faudra bien l’employer, ce mot, si on veut se sortir du gâchis actuel. Ou, à tout le moins, il faudra certainement tendre vers une authenticité, un désir de dire les vraies vraies affaires—des choses qui, si elles sont incongrues à notre époque d’images et de surfaces, n’en sont pas moins essentielles à la poursuite d’une vie pleine et satisfaisante. C'est une sorte de devoir.
«Devoir»: voilà bien un autre mot démodé que l’on évoque avec gêne. Parler de devoir, en 2012, c'est un peu comme parler de corset ou de sleigh à patins: un anachronisme. Mais c'est peut-être un mot qu’il faudra (ré)apprendre à utiliser, parce que nous en aurons besoin pour expliquer qu’il y a des choses que nous devons faire, des choses que nous devons dire.
Et notre premier devoir, individuellement, est peut-être de se forcer à se réveiller, à sortir de notre recherche vorace du bien-être personnel, et à prendre conscience que si ce n’est pas maintenant, ce sera jamais.
Cependant, malgré ce qu’en pensent les tenants d’une droite libertaire et doctrinaire, tous les changements ne peuvent être d’ordre individuel, et l’engagement devra donc aussi se faire au niveau social.
Mais ce ne sera pas facile, tout le monde le sait. Les grandes forces qui influencent notre époque—l’individualisme, le divertissement roi, la soif de célébrité, la recherche du confort matériel et psychologique—sont toutes des forces d’inertie sociale.
L’un des effets les plus pervers de l’aisance atteinte par nos sociétés depuis une cinquantaine d’années est qu’elle aura atrophié notre désir de tenter de régler les problèmes qui continuent de nous affliger et ceux, encore plus grands, qui nous attendent. C'est le confort et l’indifférence dont parlait Denys Arcand, mais c'est aussi la fin des «grands récits» de Lyotard, et la lente agonie de la notion de bien commun.
Pour tenter de s’arracher à cela, il faudra retrouver l’envie et le courage de vivre dans la marge, même si notre époque au grand complet tend à nous faire croire que le bonheur se trouve dans le centre, ou à tout le moins sous les feux des projecteurs et le regard de nos 2 647 abonnés Twitter. Il faudra, aussi, s’habituer au dénigrement et aux sarcasmes de ceux qui, d’une part, considèrent qu’il est futile de tenter quoi que ce soit, et de ceux qui, d’autre part, pensent que les solutions ne se trouvent pas dans les actions collectives mais dans une toujours plus grande «liberté».
Persister, malgré les obstacles, malgré les doutes. Et cela même si la lumière n’apparaitra pas nécessairement au bout du tunnel. «Nous devrons continuer à résister, a écrit Chris Hedges, mais avec la conscience pénible qu’aucun changement significatif ne se produira sans doute au cours de notre vie. Cela rend la résistance plus difficile encore. Mais renoncer aux actes de résistance signifierait une mort spirituelle et intellectuelle. Ce serait se rendre à l’idéologie déshumanisante du capitalisme totalitaire. Les actes de résistance gardent vivante une autre trame narrative, soutiennent notre intégrité et donnent à d’autres, que nous ne rencontrerons sans doute jamais, la force de se lever à leur tour et de porter le flambeau que nous leur transmettrons. Aucun acte de résistance n’est inutile».
«Trame narrative»: encore ici, on parle d’histoire, de sens que l’on donne aux choses.
Et donc, Nouveau Projet. Et Documents, la collection de petits livres dont le premier titre paraîtra en mai. Et Atelier 10, l’organisation qui chapeautera ces projets et d’autres à venir. Vous l’aurez compris, c'est notre acte de résistance à nous.
Résistance, entre autres choses, face à l’ère de l’algorithme dans laquelle nous entrons rapidement. De plus en plus, le travail de trier, organiser et diffuser la culture et l’information revient non pas à des artisans de celles-ci, mais à des ingénieurs informatiques situés en Californie et à Seattle, ceux qui créent les formules mathématiques qui déterminent ce que nous lisons, entendons et voyons, ce qui nous est «recommandé» («Pour vous!»), ce sur quoi nous tombons «par hasard». Les ingénieurs informatiques sont des gens formidables, mais est-ce bien à eux que nous voulons accorder la responsabilité de déterminer ce qui est important, pertinent, valable? Et ce n’est là, bien sûr, qu’une des façons dont l’information et la culture que nous consommons sont de plus en plus produites par des machines, avec un apport humain minimal ou inexistant.
Pour une raison ou une autre, je repense à cette phrase lue dans une dépêche de presse, l’automne dernier:
La dépendance des pilotes d’avion envers l’automatisation de leurs tâches a à ce point érodé leurs habiletés qu’ils ne savent parfois plus comment récupérer d’une panne de moteur ou d’autres problèmes qui surviennent en vol. Ces habiletés affaiblies ont causé des centaines de morts lors d’accidents aériens, au cours des cinq dernières années (...). «Nous voyons apparaître un nouveau type d’accidents, dans ces avions à la fine pointe de la technologie, selon Rory Kay, de la Federal Aviation Administration. Nous sommes en train d’oublier comment voler».
J’ai parfois l’impression que nous sommes en train d’oublier comment réfléchir, chercher, penser par et pour nous-mêmes, dans un monde où l’information nous assaille de tous bords tous côtés, nous tombe dessus comme des grêlons pendant une tornade. Ce que nous consommons n’est pas nécessairement le plus pertinent ou intéressant, juste le plus près de nos yeux ou de nos oreilles à ce moment très précis—le «fruit le plus bas», pour traduire une métaphore anglophone. Je le remarque en moi, et je me dis que je dois bien ne pas être le seul.
Dans un environnement où l’information est déjà surabondante, on essaiera de bien la choisir, cette information qu’on vous transmettra, et de bien la travailler et présenter. Et de vous laisser le temps de l’absorber, aussi: ce magazine ne paraîtra que deux fois par année (peut-être trois, si vous le souhaitez). Vous avez donc jusqu’à septembre pour terminer la lecture des 164 pages de ce premier numéro. Il y avait le Slow food, et le Slow politics proposé dans nos pages par Joseph Heath et Andrew Potter (Retrouver la raison,)—voici le Slow mag.
Pour vivre nous avons besoin d’histoires, donc. Et d’idées. Et de sens. Et tout cela a besoin d’espace pour être développé—espace physique, mais aussi mental. Nous essaierons donc d’offrir les deux. D’où entre autres le choix du papier, qui reste le médium privilégié pour la concentration et l’approfondissement des idées. On est plusieurs à commencer à penser que l’internet nous a déjà socialisés à mort, et qu’un peu de lecture solitaire—sans hyperlien ni bouton «J’aime» ni clochette pour nous dire quand tourner la page—pourrait nous faire le plus grand bien. C'est peut-être de ce genre de choses dont nous avons besoin, pour ne pas oublier comment voler.
C'est au tour de notre génération de passer sur cette terre, d’y imprimer ses rêves et ses aspirations, ses peurs et ses combats. Et les années 10 seront déterminantes, pour le meilleur ou pour le pire.
On ne sait pas vraiment de quoi seront faites les prochaines années. Les gens dont c'est le travail de nous le dire—économistes, politiciens, scientifiques, fonctionnaires, météorologues, sondeurs, Fabienne Larouche—semblent particulièrement mêlés, par les temps qui courent. Mais on peut déjà présager qu’un choix se posera entre l’espoir et le découragement.
Ce ne sera pas pour nous, sans doute, l’optimisme des années 1880 ou la croissance économique des Trente glorieuses. Des choses graves et sombres nous pendent au bout du nez, des visions de catastrophes futures nous habitent un peu plus chaque jour. Dans le meilleur des cas, nous entrerons probablement dans une ère de contraction, de décroissance—en tout cas pour nous, dans l’Occident encore récemment si affluent et influent.
Mais cela n’est pas nécessairement une mauvaise chose. Il y a quelque chose de séduisant, dans l’idée de vivre dans un monde où la croissance économique à tout prix n’est plus le seul projet commun. Un monde mieux pensé, plus responsable, plus efficace. Un monde géré comme un ménage d’autrefois ou un polder hollandais, plutôt que comme la famille Kardashian ou une banlieue de troisième couronne. Un monde, aussi, où nous traitons notre corps et notre âme comme les choses fragiles et périssables qu’elles sont, plutôt que comme les machines éternellement jeunes et imperméables aux influences toxiques que l’hypermodernité a essayé de nous faire croire qu’elles étaient.
Nous nous voyons très bien cadrer dans ça, en tout cas, dans cette esthétique du small(er) is beautiful. Nouveau Projet: un petit magazine qui fera son gros possible.
«Cette époque est la nôtre et nous ne pouvons vivre en nous haïssant», disait-on. On ne peut promettre de vous la rendre totalement aimable, cette époque—après tout, qui peut vraiment aimer une époque où l’idée de progrès véritable est à toute fin utile disparue, où la peur grandit chaque jour un peu plus, où l’humanité a causé à la Terre des dommages irréparables qui mettent sa survie même en péril?
Ce qu’on peut promettre, cependant, c'est d’être là, au cours de ces temps troublés, de les observer et de vous en rapporter—des quatre coins du Québec et du monde—des histoires qui vous aideront à mieux les comprendre. Et peut-être que si tout va bien, ces histoires vous donneront envie de travailler à essayer de rendre la fin de l’histoire un peu meilleure.
Notre propre histoire, en tout cas, commence ici, avec ce numéro 01. C'est un début. On s’engage à travailler très fort, au cours des mois et années à venir, pour devenir meilleurs, plus pertinents, plus à la hauteur des périls et des opportunités des années 10. Plus à la hauteur, aussi, des attentes que vous avez placées en nous, et des dollars que vous nous avez confiés.
«C’est l’espoir, pas le désespoir, qui fait les révolutions réussies», a dit quelqu'un qui s’y connaissait, en matière de révolutions.
Bonjour, donc, bienvenue chez nous, on vous attendait. On est Nouveau Projet, et on a choisi l’espoir, les yeux qui brillent, le retroussage de manches, la fomentation de plans magnifiques.
L’effondrement arrive, a même possiblement déjà commencé. Plutôt que de nier le désastre, il est temps de préparer la suite en y consacrant tout ce qui nous reste de capacité à rêver.
Alors que les frontières se referment et que grandissent la peur de l’autre et le désir de nous retrouver «entre nous», quel espoir y a-t-il pour l’entraide dont nous avons si cruellement besoin, en ce moment critique?
Comment notre époque peut-elle en même temps sembler aussi spectaculairement catastrophique et profondément ennuyante, par bouts?