Le jour où le Canada se relèvera

David Suzuki
Photo: Dominique Lafond
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Essai

Le jour où le Canada se relèvera

Le Canada est malade. Devant les assauts répétés contre son économie, sa démocratie, son environnement et sa société en général, la population est passée de l’indignation à la résignation. Mais ce n’est peut-être qu’une question de temps avant que les Canadiens ne relèvent la tête, prennent la parole et tendent la main à leurs voisins.

Cétait en mars 2012: dans un projet de loi «omnibus» de plusieurs centaines de pages, le gouvernement fédéral du Canada effaçait d’un trait 30 années de lois et de règlementations environnementales durement gagnées. En même temps, il lançait l’Agence du revenu du Canada aux trousses de 600 groupes écologistes. Le tout, sans débat véritable au Parlement. Un tel recul, impensable il y a quelques années à peine, est devenu réalité moins d’un an après l’élection d’un gouvernement conservateur majoritaire.

Le Canada est malade. Il est malade économiquement, avec son cœur manufacturier devenu moribond et sa dépendance croissante à des ressources pétrolières désormais sous contrôle étranger—que restera-t-il, dans une génération? Il est malade socialement, avec des inégalités en forte progression, de plus en plus d’enfants vivant sous le seuil de la pauvreté et des ménages endettés à 163% de leur revenu annuel. Il est malade démocratiquement, avec des élus qui ne peuvent plus jouer leur rôle au Parlement, des scientifiques qui ne peuvent plus éclairer nos décisions, des citoyens qui ne votent plus. Le Canada est aussi malade écologiquement et moralement, quand nous privilégions le profit à court terme au détriment de la biosphère, du bien commun et des générations de Canadiens qui nous suivront. Pour paraphraser Paul Hawken: nous pillons l’avenir, le vendons à crédit au présent, et appelons cela croissance.

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Depuis quelques années, les Canadiens sont passés de l’indignation à la résignation. Le Canada est -devenu comme un ressort sur lequel on pousse de plus en plus fort. Mais ce ressort est sur le point de rebondir. Un nombre croissant de Canadiens ne se reconnaissent plus dans les orientations que l’on veut donner à leur pays. Ils doivent relever la tête, prendre la parole, tendre la main à leurs voisins. Recommencer à choisir ensemble, démocratiquement et dans le respect des différences. Notre plus grande ennemie est la résignation. En acceptant le déclin démocratique, économique, social et écologique de notre pays, nous le livrons à la loi du plus fort. Ce n’est plus acceptable et cela doit changer.

Un nombre croissant de Canadiens ne se reconnaissent plus dans les orientations que l’on veut donner à leur pays. Ils doivent relever la tête, prendre la parole, tendre la main à leurs voisins.

Le jour où le Canada va se relever approche. Quand un gouvernement investit 8 millions $ pour harceler les groupes écologistes, mais qu’il coupe en même temps dans l’inspection des équipements ferroviaires, c’est qu’il se trompe de priorités. Quand 47 personnes décèdent des suites de cette mauvaise gestion, c’est qu’il est temps de nous relever. Quand ce gouvernement espionne les groupes écologistes pour le compte de l’industrie pétrolière, quand il place des obstacles à la participation citoyenne dans l’étude de projets -d’oléoducs, c’est que la démocratie fonctionne à l’envers. Quand le Canada viole les droits ancestraux des autochtones et les traités qui les garantissent pour assurer l’expansion des sables bitumineux, c’est le signe que nos droits aussi sont menacés. Et quand les écologistes sont victimes de censure, d’intimidation et d’attaques de plus en plus intenses, c’est signe que nous sommes en voie de devenir une véritable force dans notre société.

Il est toujours vivant, l’idéal d’un Canada juste, démocratique, qui protège notre droit de vivre dans un environnement sain. Mais pour le concrétiser, il ne faudra plus nous contenter de mener des batailles -périphériques, de gagner des victoires symboliques. Il faudra remettre en question les fondements mêmes de notre modèle de développement. Il ne faudra plus nous contenter de convaincre, il faudra transformer la conscience de nos concitoyens en actions. Il nous faudra nous organiser, dans chaque quartier, dans chaque ville, dans chaque village, d’un bout à l’autre du pays, pour changer les fondements de notre avenir. Ce n’est pas d’une vague temporaire dont nous avons besoin, c’est d’une marée citoyenne qui montera calmement, avec détermination.

Le jour où cette marée se lèvera, elle ne baissera plus. Ce sera le jour où le Canada s’est relevé.


Né en 1936 à Vancouver, David Suzuki est un scientifique et un environnementaliste de renommée internationale. Il œuvre depuis plus de 30 ans à titre de communicateur et de vulgarisateur, pilotant notamment la série télévisée The Nature of Things à la CBC. La Fondation David Suzuki, qu’il a cofondée, contribue à protéger l’environnement depuis 1990.

L’environnementalisme a-t-il échoué?

Je crois que oui, dans une certaine mesure. Nous n’avons pas encore réussi à vraiment transformer le modèle économique qui continue d’épuiser les ressources de la biosphère pour assurer une croissance à courte vue, une croissance qui ne profite qu’à une minorité. Notre échec est aussi mis en lumière par notre incapacité à conserver les acquis résultant de 40 années de lutte acharnée. J’ai du mal à réprimer ma colère en nous voyant forcés de refaire, une génération plus tard, des batailles que nous croyions avoir gagnées.

L’environnementalisme a échoué, justement, parce qu’il n’a pas su attaquer de front le dogme de la croissance infinie qui sert de justification au démantèlement de nos politiques sociales et environnementales. La croissance est devenue un dogme. Toute personne qui ose en contester les fondements est immédiatement qualifiée d’irréaliste, de radicale. Pourtant, l’inventeur du produit intérieur brut, Simon Kuznets, avait lui-même souligné l’aspect trop réducteur du concept pour mesurer adéquatement le progrès d’une société. Le pib mesure les revenus tirés des guerres, des catastrophes et des accidents de la route, mais il ne mesure pas la qualité de nos échanges démocratiques, la sécurité de nos communautés, la santé ou le bonheur de nos familles. Comme l’affirmait Robert Kennedy il y a 40 ans, le pib mesure tout, sauf ce qui fait que la vie mérite d’être vécue. Et pourtant, le pib est devenu l’unique mesure et l’objectif ultime de nos sociétés. Nous avons inversé l’équation: les humains sont désormais au service de l’économie.

La croissance infinie est impossible à l’intérieur d’une biosphère dont les ressources sont limitées. C’est cette idée, à la fois simple et radicale, que nous devons opposer au dogme actuel. Nous devons recentrer notre destin sur la biosphère et non sur une économie qui fait abstraction de l’air, de l’eau et des ressources qui assurent la vie sur Terre. Et pour cela, nous devons parler de partage de la richesse, puisque la seule manière de subvenir aux besoins de tous sans continuer à épuiser les ressources de la biosphère est de mieux en partager les fruits entre nous. Il est proprement scandaleux et immoral que les 85 individus les plus riches du monde s’accaparent autant de richesse que la moitié de l’humanité. Le pape François a d’ailleurs été dénoncé par les milieux de droite américains pour avoir remis en question la théorie selon laquelle l’enrichissement des mieux nantis finit par profiter à toute la société par «ruissèlement». Il affirmait à juste titre que cette théorie n’avait aucun fondement scientifique. Notre système économique nous mène à l’appauvrissement et à la faillite.

L’environnementalisme a aussi échoué parce qu’il n’a pas su s’imposer comme une force incontournable. Nous avons réussi à convaincre une majorité de Canadiens qu’il y a urgence d’agir et que la protection de notre environnement est une priorité. Des sondages récents démontrent que la priorité à long terme pour les Canadiens est la protection de l’environnement. Les Canadiens accordent une grande crédibilité au discours écologiste et ils adhèrent de manière générale à nos constats et aux solutions que nous mettons de l’avant. Mais nous n’avons pas su transformer cette conscience en actions. L’environnementalisme n’est pas mort, mais il ne suffira plus de sensibiliser et d’en appeler à l’indignation. Il faudra nous organiser.

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