Une perspective décolonialiste

Widia Larivière
Photo: Derek Read
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Une perspective décolonialiste

Au-delà du 150e anniversaire de la Confédération, 2017 marque les dix ans de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Cela pourrait être le point de départ d’un nouveau chapitre de l’histoire canadienne, fondé sur le respect et la reconnaissance mutuelle. Mais un tel changement implique un véritable travail de mémoire.

Les festivités entourant le 150e anniversaire de la Confédération canadienne ont officiellement débuté; vous aurez certainement l’occasion d’y participer. Vous remarquerez alors à quel point l’histoire de l’État canadien ressemble à un film plein de bons sentiments. Sous les drapeaux blanc et rouge, le divertissement commémoratif et les mises en scène inoffensives tiennent lieu de devoir de mémoire. Et dans cette jolie trame narrative, les Autochtones sont un élément parmi d’autres de notre si belle diversité. Je peux comprendre que dans le cadre de pareilles cérémonies, on ait davantage la tête à un feel-good movie. Mais le problème, c’est qu’on maintient le peuple canadien dans l’ignorance, en le berçant d’une histoire qu’il risque fort de prendre pour du cash. Il m’est sincèrement difficile d’adhérer à un scénario fondé sur 500 ans de colonisation, qui laisse hors champ ce qu’elle a impliqué: la dépossession territoriale et le génocide des peuples autochtones.

Cette version tronquée de l’histoire nationale est indéniablement efficace. Elle entretient l’amnésie collective par rapport au rôle et à l’apport des Premières Nations dans l’histoire du Canada comme dans celle du Québec; elle passe sous silence les tactiques d’assimilation menées par le gouvernement canadien pour les faire disparaitre à petit feu. Et du même coup, elle tend à déresponsabiliser les membres de la société dominante—ceux qui, consciemment ou non, cumulent le plus de pouvoirs et de privilèges—face à la situation actuelle des Autochtones, où qu’ils se trouvent sur le territoire. Toute ma vie durant, on a fait défiler devant mes yeux ces versions déformées de l’histoire dans laquelle moi-même et mes compatriotes ne nous reconnaissons pas.


Histoire tronquée

Les bons sentiments mis de l’avant dans le cadre du 150e sont en fait assez représentatifs de ce qui est enseigné—souvent de manière incomplète et inadéquate—dans les cours d’histoire à l’école primaire et secondaire. Dans mon cours d’histoire en 4e secondaire, par exemple, on nous parlait des premiers contacts et des premières alliances entre les peuples autochtones et les colonisateurs européens. On évoquait bien plus tard la crise d’Oka de 1990. Entre ces deux périodes historiques, c’était le néant: ni la Loi sur les Indiens (qui n’est pourtant pas un détail de l’histoire, puisqu’elle stipulait, fin 19e siècle, que les «Sauvages», en tant qu’«enfants de l’État», seraient placés sous tutelle), ni les pensionnats, ni la rafle des années 1960, ni aucun des éléments qui auraient aidé à mieux comprendre comment on avait pu en arriver à Oka, n’étaient expliqués ni même mentionnés. De plus, l’histoire du Canada qu’on nous présentait et qu’on présente encore débute toujours à l’arrivée des Européens en Amérique, alors qu’il existe une ère précoloniale longue de plusieurs millénaires. Les peuples autochtones ne sont pas des peuples anhistoriques. Ils ont occupé le territoire, se sont transmis leurs savoirs et leur histoire oralement. D’un point de vue occidental, l’absence de traces écrites rend difficile la valorisation de ce patrimoine-là, mais sa préservation est plus urgente que jamais.

Même si on en prend graduellement conscience, l’éducation sur l’histoire et les réalités autochtones demeure insuffisante. Du côté du cinéma comme du côté des médias de masse, les clichés et stéréotypes ont la vie dure. De l’image romantique à l’image victimisante, rarement on présente les Premiers Peuples de manière à réellement rendre compte de leur humanité, de leur diversité et de leur complexité.

Il est indéniable que les choses s’améliorent progressivement. La Commission de vérité et réconciliation du Canada, par exemple, a permis d’exposer un côté tragique de l’histoire du pays: le régime des pensionnats. Nous espérons qu’il y aura suffisamment de volonté politique pour que soient appliqués les 94 appels à l’action qui en sont ressortis afin d’améliorer les conditions de vie des peuples autochtones et les relations entre Autochtones et allochtones. L’enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues ou assassinées contribue, quant à elle, à une prise de conscience nationale du féminicide colonial. Espérons là encore qu’elle aboutira à des mesures concrètes, qui permettront qu’on s’intéresse aux femmes autochtones au-delà des disparitions et des assassinats, et qu’on prendra le temps d’écouter leurs points de vue et leurs opinions pendant qu’elles sont vivantes. Malheureusement, même si on aimerait tant y croire, ces initiatives ne viennent point changer l’hypocrisie des scénaristes principaux, pour reprendre notre image cinématographique de départ. Alors que ceux-ci charment l’auditoire en mettant de l’avant certains gestes symboliques de réparation, le gouvernement canadien rechigne à mettre en œuvre d’importantes mesures de réconciliation, telle l’application, de manière significative, de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Pire encore, ils vantent des projets de surexploitation de ressources et approuvent le passage de pipelines en plein territoire ancestral autochtone.


La vérité qui dérange

Le devoir de mémoire qui s’amorce est nécessaire. Il nous faut impérativement intégrer les éléments historiques importants qui ont affecté et affectent encore la vie des peuples autochtones—le génocide culturel, la Loi sur les Indiens, les pensionnats, la stérilisation forcée, etc.—sans quoi nous maintiendrons un statuquo qui a des couts énormes en matière de violations de droits de la personne. Mais en parallèle, il est de notre devoir collectif de nous tourner vers l’avenir et de sortir des sentiers tracés pendant 150 ans. De changer nos discours, aussi. Si l’histoire du Canada est bâtie sur la dépossession territoriale et le génocide des peuples autochtones, elle s’est également construite sur la résistance et la résilience de ceux-ci. Ce sont elles qui leur ont permis de continuer à exister malgré toutes les tentatives de destruction auxquelles ils ont fait face. Je pense notamment aux survivants des pensionnats ou de la rafle des années 1960, qui ont trouvé le courage de partager leur histoire et les traumatismes qui en ont résulté. Je pense à la résistance du peuple mohawk lors de la crise d’Oka. Je pense aussi aux femmes autochtones qui ont particulièrement été touchées par le colonialisme patriarcal et qui se mobilisent depuis les années 1970 pour dénoncer les injustices qu’elles vivent, telles les discriminations raciales et sexistes de la Loi sur les Indiens, ainsi que les hauts taux de violences qu’elles subissent à différents niveaux. Ce sont les femmes autochtones qui sont majoritairement à la tête de mouvements militants et qui travaillent à la défense de leur territoire. On n’a qu’à penser aux Innues, qui ont milité activement pour dénoncer les impacts du Plan Nord, ou à leurs consœurs de la Saskatchewan, qui ont fondé le mouvement Idle No More.


Il est de notre devoir collectif de nous tourner vers l’avenir et de sortir des sentiers tracés pendant 150 ans. De changer nos discours, aussi. 

Je n’oublie pas la jeunesse autoch-tone, qui porte en elle 500 ans de colonialisme et de résistance et qui, malgré les défis indéniables qu’elle rencontre, reste porteuse d’espoir. Cette nouvelle génération peut trouver du sens en reprenant le flambeau, en s’érigeant en protectrice des identités et des cultures autochtones, mais il faut pour cela l’encourager à se les réapproprier et à les redéfinir afin que celles-ci perdurent. Ce sont tous les Autochtones à travers le pays qui ont milité et qui militent encore tout simplement pour le respect de leurs droits. 

Si je dis tout cela, c’est que l’espoir existe malgré tout.


Une année symbolique

Pourquoi ne pas profiter de cette occasion qu’est le 150e pour réécrire l’histoire du Canada avec un regard honnête, aussi malaisant soit-il, afin de nous libérer de notre confortable ignorance collective? Pour entamer ce nouveau chapitre de l’histoire canadienne, 2017 est une année symbolique, car elle marque aussi le dixième anniversaire de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, dont la mise en œuvre est une condition sine qua none à une véritable réconciliation. Celle-ci demeurera impossible tant que nous ne nous libérerons pas de la relation de tutelle que nous entretenons avec le gouvernement fédéral, par le biais de la Loi sur les Indiens, et que nos droits ne seront pas respectés, à commencer par celui à l’auto-détermination. Aujourd’hui encore, très rares sont les Autochtones qui se sentent Canadiens, et je continue moi-même de penser que nous sommes et resterons des peuples distincts. Mais je crois fermement qu’une relation respectueuse est possible, loin du modèle de l’assimilationnisme qui a prévalu jusqu'ici.

Il parait que la meilleure histoire que nous pouvons écrire est tout simplement celle qui nous effraie le plus: la vérité, celle qui dérange. Cette année est l’occasion de repenser nos relations et d’écrire ensemble le prochain chapitre de la réconciliation. Et je parle ici d’une authentique réconciliation. Pas une réconciliation-divertissement vide de profondeur comme on nous la présente dans les festivités du 150e au nom de «l’unité canadienne», mais plutôt une réconciliation dans laquelle les droits des peuples autochtones seront respectés. Cela impliquera de faire face à des chocs culturels, à des chocs d’idées et de valeurs, qui ne seront pas nécessairement faciles, mais qui auront des répercussions positives, plus collectives et durables. Après les débats manqués et les non-dits des 150 dernières années, nous pourrons enfin toutes et tous nous sentir interpelés et sentir que nous avons un rôle à jouer. 


D’origine anishnabe (algonquine), Widia Larivière est militante féministe pour les droits de la personne et ceux des peuples autochtones. Elle a travaillé pendant plus de huit ans pour Femmes autochtones du Québec et est l’une des co-initiatrices de la mobilisation québécoise du mouvement Idle No More. En 2015, elle a cofondé Mikana, une organisation de sensibilisation aux réalités autochtones. Elle est également cinéaste et auteure.

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