Le meilleur de la littérature en 2023

Zadie Smith
Zadie Smith
Photo: Vittorio Zunino Celotto / Getty Images
Publié le :

Six lectures pour rater sa croissance (et réussir sa décroissance)

Selon Julien Lefort-Favreau, professeur agrégé d’études françaises, Université Queen’s


Ralentir ou périr: l’économie de la décroissance, Timothée Parrique (Seuil)

Excellent tour d’horizon des théories de la décroissance. On en sort dévasté·e et/ou plein·e. Un bon antidote à l’idéologie de la croissance économique.

Manuel d’autodéfense intellectuelle (Socialter no 16, hors-série)

Bon magazine, qui rend accessibles des questions politiques complexes. À mettre dans les mains d’un·e ado.

La forme-Commune, Kristin Ross (La fabrique)

Le plus récent ouvrage de l’une des penseuses politiques contemporaines les plus importantes (et les plus sous-estimées). Il est des formes d’organisation de la vie collective qui échappent à l’État: une histoire en pointillé des luttes paysannes.

Une civilisation de feu, Dalie Giroux (Mémoire d’encrier)

Essai digressif sur notre «civilisation fossile» qui fait tout sauter.

Ducks: Two Years in the Oil Sands, Kate Beaton (Drawn & Quarterly)

Bande dessinée autobiographique racontant la pauvreté du quotidien traumatique des travailleur·euse·s de l’industrie des sables bitumineux qui cherchent à faire rapidement fortune.

Éloge des vertus minuscules, Marina van Zuylen (Flammarion)

Essai réussi sur le ratage qui s’intéresse aux petits échecs des personnages secondaires, aux idées incomplètes et à la vertu de l’assez bien. Un bon antidote à l’idéologie de la croissance personnelle.

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Les neuf livres que François Legault a oublié de lire

Selon Claudia Larochelle, journaliste, animatrice et écrivaine


L’habitude des ruines: le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec, Marie-Hélène Voyer (Lux)

Parce qu’il s’agit d’un essai percutant et original qui devrait inspirer quelques politiques quand vient le temps de se pencher sur notre manière d’habiter notre territoire et de l’honorer à sa juste valeur.

Une carte postale de l’océan, Stéfani Meunier (Leméac)

Parce qu’on ne peut pas toujours parler des mêmes écrivain·e·s. Il y a aussi les discrètes qui polissent leur art dans leur coin. Leur grand art. C’est son sixième roman, une enquête filiale comme on en lit peu.

Le fil du vivant, Elsa Pépin (Alto)

Parce que ça ferait un beau petit cadeau bonus pour le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, qui retrouvera dans cette habile histoire non seulement des références à sa jeunesse, mais aussi les préoccupations environnementales d’une mère qui s’accroche, coute que coute.

Ce qui meurt en nous, Mathieu Bélisle (Leméac)

Parce qu’il faut apprendre à parler de la mort, parce que nous sommes incapables de la représenter, de comprendre ce qu’elle peut nous faire réaliser sur nos identités, sur comment nous devrions l’envisager dans le futur, dans le respect de celles et ceux qui y passeront avant et après nous.

Havre-Saint-Pierre, Abla Farhoud (VLB)

Parce que la grande et merveilleuse Abla aurait mérité les mêmes honneurs que tou·te·s les grand·e·s créateur·trice·s qui nous quittent et parce que ce très récent titre posthume offre aussi un panorama de la Côte-Nord, de ce que transmettent et portent en eux et elles les Québécois·es issu·e·s de l’immigration.

Eukuan nin matshi-manitu innushkueu / Je suis une maudite Sauvagesse, An Antane Kapesh (Mémoire d’encrier)

Parce qu’il s’agit d’une réédition par Naomi Fontaine de ce réquisitoire accablant contre les Blancs qui, sans vergogne, ont pillé, jugé, condamné, méprisé ce que les peuples autochtones avaient de plus important, leurs territoire, traditions et racines, certes, mais aussi leur Histoire.

Travesties-kamikaze, Josée Yvon (Les herbes rouges)

Parce que la poète, morte à 44 ans en 1994, a passé des années intensives à écrire la réalité des marginaux·ales, de ceux et celles qui ne suivaient pas le défilé en restant sagement dans les rangs. Parce que rien ne change vraiment. Il y en aura toujours qui marcheront à gauche, qui refuseront de se conformer. Pour ces gens et pour mieux les saisir, il y a ce livre précieux.

Niagara, Catherine Mavrikakis (Héliotrope)

Parce que derrière toutes les splendeurs de nos paysages, derrière toutes les chutes, surtout, il y a des histoires de nouveaux·elles arrivant·e·s, de mères, de pères et d’enfants qui transforment et changent le Québec à la lumière de leur héritage émotionnel, le plus percutant sans doute.

Les choses de la lumière, Maude Veilleux (Marchand de feuilles)

Parce que monsieur Legault devrait connaitre davantage nos plus belles et lucides voix de la poésie contemporaine, celles qui font juste assez crisser des dents, comme mille petites éveilleuses de conscience. La vérité de notre quotidien au Québec passe beaucoup par nos poètes. Et non, ce n’est pas compliqué ou hermétique à lire…

Sept articles notables

Selon Ralph Elawani, auteur et journaliste


«My Generation», Justin E. H. Smith (Harper’s, septembre 2023)

L’un des plus brillants enfants de la génération qui n’aura jamais son président se regarde dans le miroir.

«Le genre et le nombre», Michael Delisle (Les écrits no 166)

Éloge funèbre sulfurique pour un poète qui s’en est allé.

«The Problem with Trauma Culture», Catherine Liu (Noēma, 16 février 2023)

Pour une critique de l’économie lacrymale. Les yeux pleins d’eau, on voit moins bien l’exploitation…

«Aging White Men, Like Everyone, Are Aware of the Discursive Reality in Which They Live», Freddie Deboer (FdB Substack, 18 septembre 2023)

Un autre père de 40 ans veut vous parler de Kendrick Lamar.

Quatre fanzines qui méritent le coup d’œil

Selon Nemo Lieutier, adjoint éditorial


Ça va cocotte, Myriam Bourgeois

Une cocotte-papier pour adultes, qui cache des textes et des dessins de la talentueuse autrice de bandes dessinées.

Tout va bien!, Adeline Rognon

Comme elle l’écrit elle-même, la créatrice voulait juste faire «un petit livre amusant sur des sujets pas drôles». Ce sera en huit pages et rose flash.

Gaz, Le lac a calé

Ce collectif artistique et militant établi au Saguenay tend la plume et le pinceau aux personnes vivant en dehors des grands centres urbains. L’occasion d’explorer les enjeux des «luttes queers, féministes, décoloniales, écologistes, anticapitalistes et anticapacitistes».

Bitezine, collectif TRAPs

Le premier numéro rassemble essais, poèmes et illustrations pour défendre les idées transféministes. Et c’est réussi.

Les deux meilleurs livres sur la non-maternité

Selon Catherine Genest, cheffe de pupitre numérique, Nouveau Projet


Adieu les crevettes, Charlotte Francœur (Le Noroît)

L’avortement est le sujet central de ce recueil de poésie à la fois très intime et politique. Tous les centres de planification des naissances devraient en avoir un exemplaire dans leur salle d’attente.

Je pense que j’en aurai pas, Catherine Gauthier (XYZ)

Il y a celles qui auraient bien aimé devenir mères, n’eût été leur célibat. C’est le cas du personnage principal de cette bédé minutieusement dessinée au plomb.

Trois bédés qui flirtent avec l’autofiction

Selon Maud Brougère, secrétaire de rédaction, Nouveau Projet


Environnement toxique, Kate Beaton (Casterman)

Le témoignage exceptionnel d’une jeune femme ayant travaillé plusieurs années sur les chantiers d’extraction des sables bitumineux d’Alberta, et capable d’en révéler toutes les nocivités, humaines et environnementales, avec un recul étonnant.

Jardin des complexes, Jimmy Beaulieu (Nouvelle adresse)

Le silence et la couleur prédominent comme à l’habitude dans ce dernier recueil de l’éditeur, auteur, illustrateur, critique et personnage de bande dessinée. Une collection sensible de tout petits moments de grâce et de boule dans la gorge qui parsèment sa vie, et souvent les nôtres.

Rose à l’île, Michel Rabagliati (La Pastèque)

L’alter ego du bédéiste (de tou·te·s les Québécois·es?) a besoin d’une pause: il quitte à la fois la ville et le format dans lequel il se raconte habituellement pour une retraite familiale à l’ile Verte, sans cases ni encrage, juste au crayon de mine.

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Les 15 meilleurs livres (hors Atelier 10!)

Selon Nicolas Langelier, rédacteur en chef, Nouveau Projet


Babi Yar, Anatoli Kouznetsov (1966)

Récit des atrocités allemandes (et russes) à Kyiv durant la Deuxième Guerre mondiale, telles qu’observées par un préadolescent.

Brève histoire des idées au Québec 1763-1965, Yvan Lamonde (2019)

Parce qu’il est toujours plaisant de se rappeler qu’il y a eu des époques où l’on débattait d’idées, au Québec, plutôt que de se contenter d’exercices de relations publiques et de bassesses électoralistes.

Company of One: Why Staying Small Is the Next Big Thing for Business, Paul Jarvis (2019)

Un inspirant exposé sur les raisons de rester petit, en affaires.

Essayism: On Form, Feeling, and Nonfiction, Brian Dillon (2017)

Les essais sur l’essai sont souvent lourds et inutiles; celui-ci est inspirant.

From Strength to Strength: Finding Success, Happiness, and Deep Purpose in the Second Half of Life, Arthur C. Brooks (2019)

Parce que la solution ne passera ni par un achat quelconque, ni par l’œnologie, ni par la fréquentation amoureuse de quelqu’un de beaucoup plus jeune.

Giants in the Earth, Ole Edvart Rølvaag (1927)

Peut-être le meilleur roman américain décrivant la colonisation des Prairies, mais très peu connu parce qu’écrit dans la langue de Mats Zuccarello par un immigrant norvégien.

How Modern Media Destroys Our Minds, Alain de Botton (2022)

Une analyse troublante de l’impact des médias sur notre santé mentale—et, en conséquence, de comment nous pourrions concevoir de meilleures sources d’information.

Kaputt, Curzio Malaparte (1944)

Une exploration surréaliste de la guerre et de la nature humaine.

Ill Fares The Land, Tony Judt (2010)

Un regard impitoyable sur l’abandon d’une certaine idée de la justice sociale, en Occident.

L’Iliade, Homère, traduction anglaise d’Emily Wilson (2023)

Son Odyssée, publiée en 2018, atteint un magnifique équilibre entre modernité et respect du texte: Emily Wilson nous refait le coup avec L’Iliade.

Le monde sans fin, Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici (2021)

Un phénomène: le livre le plus vendu en France l’an dernier est un bédéreportage portant essentiellement sur l’énergie en tant que fondement du monde.

Postwar: A History of Europe Since 1945, Tony Judt (2005)

Un résumé magistral de l’Histoire européenne, de la Deuxième Guerre mondiale au début du 21e siècle.

The Fraud, Zadie Smith (2023)

Sous le premier roman historique de la Londonienne se cache un essai acidulé sur notre époque contemporaine.

The Gutenberg Parenthesis: The Age of Print and Its Lessons for the Age of the Internet, Jeff Jarvis (2023)

Comment concevoir la culture, dans un monde où le livre en est à son crépuscule?

True Grit, Charles Portis (1968)

Les deux adaptations au cinéma sont intéressantes—celle avec John Wayne en 1969 et celle des frères Cohen en 2010—mais le roman se suffit à lui-même.


Note de la rédaction: la version originale de ce texte comprenait cette recommandation de Claudia Larochelle, sous l’intitulé «Les dix livres que François Legault a oublié de lire». Or, nous avons appris que M. Legault en a fait le sujet d’une publication Facebook le 30 juillet 2023.

La candeur du patriarche, Gilles Archambault (Boréal)

Parce que c’est le plus épatant de nos mélancoliques écrivain·e·s et qu’il marche désormais sur ses derniers milles. C’est suffisant, il me semble, pour offrir un regard lucide, expérimenté, sage et même amusant sur le quotidien de certain·e·s de nos ainé·e·s, sur ce qu’ils et elles laissent de précieux et sur ce à quoi il faudrait savoir se raccrocher pour continuer sans leur présence.

1 commentaire :
Serge Marcotte :
vendredi 5 janvier 2024 à 08 h 38
Merci pour ces nombreuses suggestions, très diversifiées et toutes intéressantes. À défaut de trouver le temps de tout lire, j'ai lu tous les commentaires, inspirants! Je garde tout en note...
Si je puis me permettre de faire moi aussi une suggestion dans le plein fil des thèmes abordés par Nouveau Projet (et par M, Langelier en particulier): Hartmut Rosa "Résonnance". Il s'agit d'un livre de sociologie qui fait le point sur les axes à partir desquels une personne peut donner du sens à sa vie et être heureuse. L'argumentaire de Rosa est abondamment et solidement documenté (en sociologie, en psychologie, en philosophie, en biologie, etc.) et le texte est très accessible (malgré l'épaisseur du livre qui peut faire peur... On est loin de la psychopop...
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